SUD CT 33
Le devoir de réserve ne s’applique pas à la simple narration publique de faits avérés.

 

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Nous sommes dans une affaire de harcèlement moral dans laquelle le juge administratif a donné raison à l’agent. Le même agent a ensuite été exclu temporairement de fonction pour avoir déclenché la parution dans la presse locale d’articles relatifs à l’affaire.
L’analyse du juge administratif est que « les propos publics de l’agent, relatant des agissements débouchant sur une condamnation pénale, correspondent à une description acceptable de la réorganisation des services et à une appréciation pertinente et non outrancière de certaines méthodes utilisées. Dans ces conditions, ces propos ne présentent pas un caractère diffamatoire ou injurieux et sont en relation directe avec les faits de harcèlement moral. Dans ces circonstances, l’agent ne peut être regardé comme ayant commis un manquement au devoir de réserve. »
La marge d’interprétation est étroite, car le juge précise par ailleurs que : « la narration de ces faits étant de nature à jeter le discrédit sur l’administration, l’agent amené à les dénoncer publiquement doit veiller à ne pas accroître abusivement le discrédit en se livrant à des descriptions ou critiques, qui déborderaient, par leur tonalité ou leur contenu, le cadre dans lequel les faits de harcèlement moral se sont produits, le cercle des personnes impliquées dans ce harcèlement, et le contexte qui l’a rendu possible, le devoir de réserve de tout agent public étant maintenu et sa méconnaissance pouvant donner lieu à sanction sous le contrôle du juge. »
Cour administrative d’appel de Marseille, 27 septembre 2011, M. N., requête n°09MA02175

Le harcèlement moral

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La notion de harcèlement moral a été intégrée dans le statut de la fonction publique en 2002.

Comment s’applique- t-elle concrètement ?

La notion de harcèlement moral préexistait-elle à l’intervention du législateur ?

Le harcèlement moral avait déjà, en droit de la fonction publique, une existence jurisprudentielle. Le juge administratif a ainsi pu qualifier d’accident de service des décès (1) survenus consécutivement à des décisions prises par la hiérarchie ou à ca use de conditions de travail particulières (2), permettant, par là -même, la mise en cause de la responsabilité de l’administration. Dans des contentieux menant le juge à apprécier la régularité d’une démission, celui-ci a été conduit à relever les faits de pression répétés, de surcharge ou de décharge de travail, analysés comme des actes de harcèlement moral, dans la mesure où ils ont contraint l’intéressé à démissionner (3). (1) Tass. des Vosges, 28 février 2000, Me R. c/ CPAM des Vosges, commentaires « P etites affiches » n° 209, 19 octobre 2000. (2) CAA Lyon, 27 décembre 1999, Me Mialon, n° 97LY02644 ; CAA Lyon, 29 juillet 1994, M. Stéphani, n° 93LY01298. (3) CAA Lyon, 19 novembre 1996, M. Reymann, n° 95LY01689 ; CE, 22 juin 1994, commune de Lançon Provence, n° 124183/125046.

 

Quelles dispositions statutaires s’appliquent ?

 

Le harcèlement moral a été intégré au statut général de la fonction publique par la loi n° 2002-73 du 17 janvier 2002, dite loi de « modernisation sociale ». Depuis, un nouvel article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, définit ainsi, de façon large et consensuelle, la « faute » de harcèlement moral : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. »

 

Quels sont les critères constitutifs du harcèlement moral ?

 

La loi impose, en tant que critère matériel, « la dégradation des conditions de travail ». Mais l’usage d’une expression aussi large pour déterminer la nature des agissements incriminables accorde au juge le pouvoir d’entendre, ou non, l’acception de harcèlement moral. Néanmoins, les comportements les plus souvent incriminés peuvent être regroupés dans trois catégories. Premièrement, les problèmes relationnels au travail : isolement, agression, discrédit. Deuxièmement, la manipulation du travail (en termes de privation ou de surcharge des moyens) ou l’absence de reconnaissance (ainsi, la réduction volontaire, et sans justification fonctionnelle, des moyens ou des pouvoirs mis à la disposition de l’agent pour accomplir sa mission est habituellement retenue par le juge). Troisièmement, les atteintes directes à la personne en tant qu’individu (vie privée, santé, discrédit). Ces actions sont généralement décelées lors d’une réorganisation interne, un changement de supérieur hiérarchique, un arrêt de travail ou un désaccord.

 

Doit-on prendre en compte l’intention de l’auteur des agissements en cause ?

 

La loi impose de démontrer le caractère intentionnel du harcèlement moral. La volonté de porter atteinte à autrui, dans sa dignité et dans ses droits, doit être constituée. Ceci a été posé pour distinguer clairement les actes de harcèlement moral des tensions inhérentes aux relations de travail ou autres formes de pression au travail, comme des situations conflictuelle s où peuvent se multiplier les agressions et insultes dépassant un certain seuil défini par le juge. On remarquera que le critère intentionnel se retrouve aussi bien dans l’accomplissement personnel (auteur principal du délit) que dans l’organisation directe ou indirecte (complice du délit) du harcèlement moral, ce dernier pouvant être collectif. En outre, l’action de harcèlement doit être répétitive.

 

La qualité de l’auteur des agissements incriminés est-elle déterminante ?

 

Non. Il n’existe pas obligatoirement de lien hiérarchique entre l’auteur des faits de harcèlement et la victime. La réglementation en vigueur s’applique, très largement, aux cas de harcèlement descendant (du supérieur hiérarchique sur le subordonné) ; ascendant (du (ou des) subordonné(s) sur le supérieur hiérarchique) ou, encore, latérale (entre agents de même niveau hiérarchique). Par conséquent, l’agent pris de « psychose de harcèlement » n’est pas à l’abri de se rendre, lui-même, coupable d’actions constitutives de harcèlement mora l assorties d’une dénonciation calomnieuse, délit sanctionné pénalement par l’article 226-10 du Code pénal. Notons pourtant que les agissements de harcèlement s’avèrent, le plus souvent, liés à l’exercice abusif du pouvoir hiérarchique ou de direction.

 

De quelle façon le juge administratif procède -t- il pour établir la situation de harcèlement moral ?

 

Habituellement, la jurisprudence retient un faisceau d’indices pour considérer qu’il y a, ou non, harcèlement moral (1). On retiendra : L’empêchement à s’exprimer (silence imposé ou expression limitée). L’isolement de la victime (2). Tel n’est pas le cas si l’agent est invité à participer activement aux réunions de travail ou de service ; s’il est dans un bureau intégré aux services de la collectivité publique (3), de dimensions acceptables et pourvu du matériel suffisant à l’accomplissement de sa mission. La déconsidération auprès de ses collègues et le discrédit de la victime dans son travail. La compromission de la santé physique et psychique de la victime (4). Le harceleur, agent ou administration, pourra opposer un état psychologique préexistant (phénomènes à action lente, antérieurs à la manifestation de la lésion) et/ou des raisons personnelles étrangères au service pouvant expliquer son état dépre ssif. La diminution importante ou le caractère fictif des responsabilités et attributions de l’agent (5). (1) CAA Douai, 4 juin 2003, société d’avocats Legis Conseil, n°00DA01229). (2) Cass. Soc, 16 juillet 1998, Bringec c/ société Bronzes Strassacker, n°96-41480). (3) CAA Marseille, 2 juin 1998, commune de Mandelieu-La Napoule, n°97MA01472.( 4) Cass. Civ., 3 avril 2003, n°01-14160. (5) CE, 9 avril 1999, M. Rochaix, n°155304.

 

Les textes prévoient- ils de protéger la victime ?

 

L’article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 comprend une liste non exhaustive de mesures administratives qui ne peuvent pas être prises contre l’agent ou contre le témoin des agissements en cause, dès lors que ces mesures renvoient à une situation de harcèlement moral. Est posé qu’ aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la formation, la notation, la discipline, la promotion, l’affectation et la mutation ne peut être prise à l’gard d’un fonctionnaire en prenant en considérant : (1°) le fait qu’il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral ; (2°) le fait qu’il ait exercé un recours auprès d’un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ses agissements ; (3°) ou bien le fait qu’il ait tém oigné de tels agissements ou qu’il les ait relatés ».

 

Quels sont les recours dont dispose la victime ?

 

D’abord, le dispositif de sanctions disciplinaires est applicable à l’encontre de tout agent ayant procédé à des agissements de harcèlement (*). Ce dispositif doit être engagé par l’autorité administrative compétente, sur saisine de l’agent harcelé (*). Ensuite, les agents qui se disent victimes de harcèlement moral peuvent saisir les juridictions administratives, aux fins d’obtenir l’annulation des mesures prises à leur encontre sur le fondement de motifs irréels ou erronés et qui cachent, en réalité, des sanctions déguisées ou abusives. En outre, les requérants peuvent assortir leur recours pour excès de pouvoir d’une mise en cause de la responsabilité administrative de l’employeur public, accusant ce dernier d’abstention fautive ou, au contraire, de comportements fautifs à leur encontre. Enfin, la victime peut saisir le juge pénal, par un dépôt de plainte, sur le fondement de l’article 222-33-2 no uveau du Code pénal, qui institue le délit de harcèlement moral punissable d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. L’intéressé peut aussi invoquer le délit de soumission d’autrui à des conditions de travail contraires à la dignité humaine, le délit de violence volontaire (dont les violences psychologiques) et les injures ou diffamations publiques ou non publiques. On ajoutera qu’il ne paraît pas exclu de prétendre aux dispositions de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 relatif à la prote ction fonctionnelle des agents.

 

Ces trois types de recours peuvent-ils être cumulés ?

 

Oui. Notamment, les actions disciplinaires et pénales peuvent être intentées séparément pour les mêmes faits, et ce, sans contrevenir au principe non bis in idem. Par ailleurs, malgré le principe d’indépendance entre le jugement disciplinaire et le jugement pénal, qui permet à l’administration de ne pas attendre le jugement pénal pour prendre une sanction disciplinaire, l’autorité disciplinaire ne pourra remettre en cause la décision pénale relative à la matérialité des faits et à la participation de la personne poursuivie pour avoir commis ces actes.

 

De quels moyens de preuve dispos la victime ?

 

La preuve est libre. Cela suppose la démonstration de l’existence matérielle des actes incriminés, qui peut être apportée par de nombreux moyens : attestations médicales ; témoignages ; aveux de l’auteur supposé du harcèlement moral ; écrits émanant de la victime informant sa hiérarchie des actes qu’elle a subis et lui demandant de prendre des mesures afin de les faire cesser ; présomptions et indices de tous ordres (1). Le nouvel article L. 122- 52 du Code du travail prévoit qu’en cas de litige, le salarié présente « des éléments de fait laissant supposer l’existence » des pratiques perverses. Cela revient à faire peser, sur les défendeurs, la preuve que les agissements ne sont pas constitutifs d’un harcèlement. Soulignons, sur ce point, les réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel quant aux dispositions de l’article L. 122-52 du Code du travail (2). Le conseil des sages précise que « la partie défenderesse sera mise en mesure de s’expliquer sur les agissements qui lui sont reprochés et de prouver que sa décision est motivée, selon le cas,  par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu’en cas de doute, il appartiendra au juge, pour forger sa conviction, d’ordonner toute mesure d’instruction à la résolution du litige ».

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